Pourquoi le calendrier médiéval de Cordes-sur-Ciel fête-t-il Pâques en avance ? Cette question intrigue dès qu’on feuillette le manuscrit du Libre Ferrat, un calendrier perpétuel en occitan médiéval conservé à Cordes-sur-Ciel. Ce document fascinant mêle repères astronomiques, fêtes liturgiques et traditions romaines. Voici une enquête céleste au cœur d’un héritage unique.
Une enquête astronomique au cœur du manuscrit du Libre Ferrat

Les secrets du calendrier médiéval de Cordes-sur-Ciel
À Cordes-sur-Ciel, un manuscrit médiéval peu connu fascine historiens, linguistes et astronomes : le Libre Ferrat, un calendrier perpétuel en occitan médiéval, compagnon des fêtes liturgiques… et des saisons.
Ce qui frappe immédiatement, ce sont ses repères astronomiques. Sur ses pages :
L’équinoxe de printemps, normalement le 21 mars, est placé au 11 mars,
L’équinoxe d’automne, vers le 22 septembre, est indiqué au 13 septembre.
➡️ Ce décalage de 8 à 10 jours reflète l’utilisation d’un ancien comput basé sur le calendrier julien, sans ajustement grégorien. Un témoin rare et précieux d’une perception médiévale du ciel, toujours guidée par les cycles célestes.
Calendes, nones et ides : la structure du calendrier romain
Le Libre Ferrat conserve aussi des traces de la structure du calendrier romain :
Les calendes : toujours le 1er jour du mois,
Les nones : autour du 5 ou du 7,
Les ides : vers le 13 ou 15, souvent associées à la pleine lune.
Ces repères structurent le calendrier liturgique médiéval. Par exemple, le comput pascal commence “après les nones de mars”, soit après le 7 mars. Une preuve que le manuscrit allie héritage antique et usages locaux.
Le concile de Nicée et la règle de Pâques
Depuis le concile de Nicée (325), l’Église fixe la règle du calcul de la date de Pâques :
Pâques est célébrée le premier dimanche après la première pleine lune suivant l’équinoxe de printemps (21 mars).
Ce calcul est un chef-d’œuvre d’astronomie ecclésiastique :
Il combine l’année solaire et les phases lunaires,
Il suit un cycle de 19 ans (le nombre d’or),
Il s’appuie sur des tables de pleine lune « ecclésiastique », pas toujours synchronisées avec la Lune réelle.
Un comput pascal propre à Cordes-sur-Ciel

Le Libre Ferrat propose une version occitane vulgarisée du comput pascal, probablement destinée aux clercs ou lecteurs peu formés :
Lo comte de pascha
“On que trobes la luna prima apres las nonas de mars. Al ters dimergue apres serau los temps paschas. Las claus de pascas.”
Traduction :
Là où tu trouves la jeune lune après les nones de mars, le troisième dimanche après sera le temps de Pâques. Les closes de Pâques.
➡️ Ce comput ignore la pleine lune et la date du 21 mars, ce qui fait souvent tomber Pâques une semaine trop tôt.
Le poids du calendrier julien
Un long délai d’unification
Le manuscrit repose sur le calendrier julien, instauré par Jules César. Celui-ci surestime l’année solaire de 11 minutes, ce qui provoque :
Un glissement de 1 jour tous les 128 ans,
Un décalage cumulé de 10 jours au XVIᵉ siècle.
Les équinoxes dans le Libre Ferrat
Équinoxe | Date moderne (grégorien) | Date dans le manuscrit | Décalage |
---|---|---|---|
Printemps | ~21 mars | 11 mars | -10 jours |
Automne | ~22 septembre | 13 septembre | -9 jours |
👉 Le décalage de l’équinoxe d’automne est le plus révélateur : il prouve que le manuscrit conserve une matrice de comput du VIIᵉ ou VIIIᵉ siècle, non corrigée.
La date de l’équinoxe n’est pas sur la page du mois de mars. Cependant, on trouve la date du passage du Soleil dans le signe du Bélier qui est censé être le même jour. En revanche, l’équinoxe de septembre est bien sur sa page mais pas le même jour que l’entrée du Soleil dans la Balance.
Si la règle pascale date de 325, son application fut lente :
Des régions comme l’Irlande ou l’Espagne utilisèrent leurs propres calculs jusqu’au IXᵉ siècle.
L’unification n’arrive qu’avec Charlemagne.
La réforme grégorienne de 1582 corrigea le décalage, mais certains manuscrits, comme le Libre Ferrat, conservent les usages plus anciens.
Une vision médiévale du ciel
Ce manuscrit n’est pas seulement un outil liturgique : c’est une carte du ciel médiéval. On y retrouve :
- Les signes du zodiaque,
- Les lunaisons,
- Les équinoxes et solstices,
- Les durées des jours selon les mois,
- Et un temps marqué par la relation entre Terre, Lune et Soleil, bien plus que par les horloges.
En résumé
Le Libre Ferrat suit une matrice computiste ancienne, antérieure à la réforme grégorienne.
Il place l’équinoxe d’automne au 13 septembre, révélant un comput du VIIᵉ siècle.
Il propose un calcul simplifié de Pâques, en occitan, souvent trop précoce par rapport au comput officiel.
C’est un témoignage unique du rapport au temps dans le Midi médiéval.
Et si la Lune te dit quand c’est Pâques, le Soleil, lui, te rappelle doucement que ton horloge interne est en avance d’un bon millénaire.
